nigel
freake

Mettre face à face le travail de deux artistes comporte des risques: l'un des deux peut en effet être déforcé par rapport à l'autre. Pas de crainte dans la confrontation présentée en cette jeune galerie, au contraire puisque la visite enrichit le regard que l'on porte sur l'un comme sur l'autre travail, à la lumière de l'un et de l'autre. Ainsi, d'apparence plus extravertie parce que l'artiste utilise une matière brillante et un coloris toujours porté au plus haut degré, l'œuvre de Nigel Freake laisse fuser une plus grande sensibilité, qu'elle gardait certainement sous le rutilant de la couleur vernie, mais que la proximité de l'œuvre d'Aïda Kazarian aide subtilement révéler. Celle-ci à son tour gagne de cette franche immédiateté, de cette place bien déterminée qu'un tableau peut prendre sur un mur et que parfois, par la nature même du travail, elle peut manquer. Car Aïda Kazarian travaille l'empreinte, celle que laisse le doigt devenu pinceau sur l'immensité de la toile, en avançant doucement, selon le rythme séculaire des tapissiers. Certaines de ces traces s'imposent, comme les notes noires de cette grande toile, qui révèle une facette plus sombre de l'artiste. D'autres ont tendance à fondre, à disparaître lorsque la lumière les avale. A l'entrée de l'exposition, Aïda Kazarian livre une œuvre plus extravertie: sur un fond d'empreintes brillantes, des empâtements blancs ont été réalisées à l'éponge laissant traîner une comète de matière. Le ton est ici radicalisé comme pour répondre à l'œuvre joyeuse de Nigel Freake. Le mot joyeux est d'ailleurs rarement (et malheureusement) utilisé en peinture et l'œuvre de Nigel Freake comporte en ce domaine quelque chose de salutaire. Monochrome à première vue, ces toiles distillent des formes, fleurs ou ribambelles, qui affleurent sous la peau même de la couleur. Ici aussi donc, mais d'une autre manière, la trace livre une partie de son secret.

Anne Hustache - ZONE02, 20 juin 2007