«Les «taches» sont comme un écran de T.V sans recherche de troisième dimension.»
«Tous les «motifs» ne marchent pas»
Motifs et taches, voilà déjà paroles de peintre. Certes Vermeer, Frans Hals, Monet ont sans doute utilisé ces termes-là, mais que signifient-ils en 2004 énoncés par un plasticien de 45 ans? Nous avons été frappés lors de notre entretien avec ce plasticien par son exigence du pictural et sa revendication d'assumer le faire du peintre. Il possède le sens de la matière et maîtrise sa pratique par une conceptualisation vraiment fondamentale. Pigments, acryliques, huiles, raclettes interviennent et se mêlent: par exemple, une série de 4 œuvres, toiles similaires mais non semblables, divulgueront ce qui peut être montré et ce qui reste caché. Ils sont soigneusement contenus dans des châssis dont l'importance fait partie de la prise de vue globale. Sa recherche se devine à travers les couches mystérieuses.
C'est donc la peinture en sa pratique, son essence, son mode de connaissance du visible et de l'apparaître qui est recherchée. Il arrive fréquemment qu'un artiste doive se trouver confronté à certaines contraintes pour pouvoir s'engager dans un processus de création assez caractéristique. Se concentrer et entrer dans la problématique, puis jauger les difficultés inhérentes à celle-ci, ensuite se propulser dans la suite de l'engagement et s'immerger dans une réflexion qui a pour résultat immédiat la pratique de l'essai. Ce dernier a pour première finalité la résolution concrète du problème, en l'occurrence pictural à première vue. Mais le concept du peintre, son « idée de peinture, qui est l'objet du désir » suivant ses propres paroles, s'articule sur la perception de ce qui est caché-dévoilé, tout en demeurant un objet visuel objectif. Cet objet sera étudié: il doit posséder un potentiel de répétition propre à en faire une sorte de trame de l'infini. Cependant, pour Nigel Freake, cette répétition possible se fera en intégrant le chaos d'une manière tout à fait consciente et surtout, tout à fait picturale. En effet, dépassant la contrainte de l'ordre qui se fixe sur la répétition d'une unité objective, le peintre use de son medium pour extraire de ses diverses consistances, un champ sensoriel adéquat. Il a pour martingale un tissu. Qui est seulement le canevas d'un ornement. C'est de celui-ci, par préférence élément de broderie ou de dentelle, qu'il retirera l'essence de son projet.
Il s'agira dès ce moment de dissoudre le réel qui est le motif sur son plat (comme en reliure), dans un matériau ductile qui le métamorphosera. Telles des structures dissipatives, ces cellules profitent du champ spatial inerte pour y inscrire une énergie formelle colorée - très fine et très élégante. Mais il faut regarder, regarder jusqu'à obtenir la sensation un peu étrange de transpercer la matière: l'œil, alors, nage entre deux eaux et deux courants. Excellent témoignage de l'art actuel en ses explorations d'une réalité illimitée, Freake surfe sur un inter-monde très subtil et prometteur.
Gita Brys-Schatan, Brussels - 2004